" Qu'est-ce qu'un hôtel ? Un digest du monde. Horrible lieu commun ? Mais c'est dans les lieux communs qu'on doit chercher leur destruction.
Le film de Resnais est une salutaire entreprise de destruction de tous les lieux communs, non seulement du cinéma mais aussi de la pensée traditionnelle. Un hôtel est — devrait être plutôt — par essence baroque. Celui de Resnais est la rocaille même, il est un de ces lieux, d'autant plus géométriques qu'ils sont fous, dans lesquels les cinéastes italiens de la grande époque des dive et Borges aimaient situer leurs imbroglios en forme de jeux absurdes, parce que parfaitement et irrévérencieusement logiques.
Les chemins qui bifurquent permettent l'explosion du hasard objectif, la provoquent parfois. Le film est l'analyse minutieuse des possibilités de la rencontre. Un homme et une femme habitent l'hôtel. S'étaient-ils déjà rencontrés l'année dernière et dans quelles circonstances ? Quelle a été l'issue de cette hypothétique rencontre de l'an passé ? Voici ce qu'on peut appeler le sujet.
Le souvenir (thème d'Hiroshima mon amour) n'a ici aucune place. Le propos de Resnais et de son scénariste Robbe-Grillet est beaucoup plus essentiel. Il s'agit, je le répète, des possibilités.
Certes ce film est écrit et réalisé avec tant de liberté qu'il échappe presque à ses auteurs, tout en reflétant plus puissamment leurs préoccupations et leur monde personnel. Tels sont, par exemple, les poèmes automatiques.
Film, presque de rêve, il s'adresse à la partie onirique du monde de chaque spectateur; il peut donc être interprété de différentes manières selon l'inconscient de chaque élément du public. On peut y entrer par différentes portes (dont certaines sont certes inconnues aussi bien de Robbe-Grillet que de Resnais), on peut aussi refuser d'y entrer et dans ce cas le film n'existe plus. Mais il faut plaindre les spectateurs assez paresseux, ou pourris par les stupides anecdotes des films quotidiens, qui n'y entreront pas, car ce film est un canevas d'une telle richesse qu'il peut enrichir notre monde, aussi différent soit-il du monde de Resnais et Robbe-Grillet.
Donc à partir d'amours anciennes et nouvelles Resnais a construit ce canevas qui, pour lui comme pour tous ceux qui acceptent l'invite de la nouveauté, est bien plus qu'un canevas, un monument.
Ces amours sont :
— Les films italiens des dive ; le dannunzisme qui mène jusqu'à la suprême finesse de Mandiargues ou de Landolfi. Souvenez-vous de ces allées de jardins sans fin où de belles créatures habillées de plumes allaient nuitamment vers des rendez-vous tragiques, de ces poses féminines jusqu'à l'extrême indécence, de ces lits où l'on souffre en se tordant, de ces couloirs déserts où l'on rencontre le hasard...
Tout cela se retrouve dans L'Année dernière mais transfiguré, modernisé, presque abstractisé, tant est nécessaire une certaine abstractisation des gestes et des décors pour atteindre le concret de la plus grande sensibilité. Voyez comment est dirigée Delphine Seyrig, qui ressemble à Pina Menichelli, qui joue comme elle hésite comme elle, ose, d'un grand geste sublime.
— Le surréalisme. Resnais est nourri de surréalisme et ses amours, qui vont des romans d'aventures populaires tels que Fantômas à la passion de la liberté et de la justice, sont celles des surréalistes. Je vois dans son film au moins deux références — sont-elles volontaires ? — à L'Âge d'or, qui reste évidemment l'œuvre surréaliste cinématographique la plus accomplie à ce jour.
D'abord la première séquence, la représentation et sa suite, où nous entendons des bribes de conversations de tous les clients de l'hôtel est traitée comme la réception dans le film de Bunuel. Même stylisation des conversations, des bruits, des attitudes, même impression d'indéfinissable malaise, même attente de l'exceptionnel qui ne peut manquer de survenir dans cette atmosphère de paysage sous-marin.
La seconde séquence, dont l'influence est beaucoup plus évidente, est celle du concert pendant lequel les amants supposés se rencontrent dans le jardin et, comme dans L'Âge d'or, se livrent à un duo erotique fait d'échecs et de tortures.
— La furie du cinéma. Resnais mord dans le cinéma à pleines dents. Fou de travellings se liant entre eux sans arrêt, il plonge dans la technique du mouvement non pas par gratuité mais par nécessité de s'exprimer en une langue élégante, grisante, romantique, lyrique. Le résultat est la plupart du temps magique (...) La plupart des séquences sont réalisées de telle sorte qu'on a l'impression d'un film où la technique conditionne le contenu tout en étant conditionnée par ce même contenu. Ce n'est plus l'une au service de l'autre ou réciproquement mais, peut-être parce que le contenu dépasse Resnais — et ce selon ses vœux —, la technique devient le prolongement des (j'insiste sur le pluriel) contenus (...)
Ce dernier film prend le contre-pied du précédent, Hiroshima s'adressant au conscient des spectateurs, L'Année dernière à leur subconscient. Et pour en revenir à la furie cinématographique de Resnais, il faut dire qu'elle est un élément déterminant pour cette plongée dans l'inconscient.
D'autres amours de Resnais interviennent dans le film mais ce sont ces trois que j'emploie comme des clés pour y entrer et ce sans même chercher (comme feront certains fanatiques de l'explication rationnelle) à percer tous les mystères, les énigmes, les points d'interrogation de L'Année dernière.
Il s'agit du seul film qui, sans crier gare, nous lance dans le thème merveilleux des univers parallèles. Deux personnes et une troisième (le supposé mari, admirablement esquissé par Sacha Pitoëff), de moindre importance mais cependant capitale, se rencontrent. Dans chacun de leurs univers cette rencontre mène à une autre solution; chaque fois les possibilités : viol, meurtre, accident, renoncement, triomphe de l'amour, etc., déterminées par des éléments aussi bien extérieurs que personnels, éclatent de façon aussi évidente que nécessaire.
Nous sommes mais nous pourrions aussi être. Le hasard objectif nous précipite dans un des univers mais dans un autre univers parallèle au premier un autre hasard objectif nous y a déjà précipités. Souvenez-vous du sublime roman de Brown, L'Univers en folie, et de la fin de Martiens, go home! Pensez aussi au roman du scénariste : Les Gommes.
Resnais, féru de science-fiction et de comics, nous présente des ficelles que nous devons tirer nous-mêmes pour ouvrir les multiples rideaux qui cachent les possibilités.
Voici donc un cinéma qui ne nous oblige pas à accepter mais propose. Cela me semble aussi neuf que l'intrusion de la pensée non traditionnelle dans le cinéma de Bunuel.
Il faudrait aussi parler de la photographie, des costumes, du hiératisme des poses, du jeu de société si énervant auquel gagne Pitoëff, de mille détails sublimes. Il faudrait faire encore un petit reproche : Pourquoi Resnais n'a-t-il pas inclus dans son propos un peu d'émotion ? Mais il est impossible de parler de tout cela sans avoir vu le film plusieurs fois.
Je n'ai voulu que donner quelques impressions de spectateur médusé et reconnaissant."
Ado Kyrou
Un homme rencontre une femme et tente de la convaincre d'abord qu'ils se connaissent et ensuite qu'ils doivent vivre ensemble. Mais Alain Resnais utilise...
Lire la suites'il n'en restait qu'un... ce serait peut être celui là!!!! La quintessence du 7è art à l'état (im)pur.... à mettre dans votre Panthéon à côté de 8 1/2,...
Lire la suite