"Le scénario du film est à
l'image de Paul : fugueur. Ne laissant aucune place à des scènes utilitaires,
auxquelles il préfère des ellipses radicales. S'accordant librement une petite
digression chez Georges Lavaudant en train de répéter (Paul est comédien, on ne
l'apprendra, furtivement, qu'à cette occasion). S'attardant sur les moments
d'amour de Paul avec Ulrika. Mais aussi prenant parfois, de façon percutante,
une scène en plein mouvement (un peu comme chez Pialat). Ou ne la traitant
qu'en deux ou trois plans, comme celle où Hélène quitte Marcus pour un autre
homme, ou encore ce très grand moment de cinéma où, à Rome, se succèdent un
plan de Marcus téléphonant à Hélène, un très gros plan magnifique, inondé de
blancheur, d'Hélène allongée, et un gros plan de Marcus dont on ne saurait dire
s'il raccorde avec le plan précédent ou avec le suivant (Paul endormi). On a
ainsi, à plusieurs reprises, le sentiment de ponctions dans des scènes dont on
n'aurait gardé, au montage, que de brèves fulgurances. Le montage est
véritablement musical : il ne joue pas sur la déconstruction mais plutôt sur
des alternances d'accélérations et de ralentissements, de ruptures et de plages
pleines.
(...)
0n sent chez Garrel à la fois le résultat et l'acte
d'enregistrement, avec de légers tremblements du cadre et la sensation, plutôt
rare au cinéma, de la vie de la pellicule elle-même, singulièrement dans les
gros plans.
Ce qui touche, et ce que touche Garrel dans le gros plan c'est la
peau, son grain, les barbes de deux jours chez Léaud et Castel, les pores chez
les femmes. Il y a là, renforcée par le noir et blanc magnifique car
authentique, dénué de tout maniérisme, de Raoul Coutard, une sensation de
matière (la pellicule et la peau, toutes deux vivantes) rarement atteinte au
cinéma, sauf chez Bergman."
Alain Philippon