Bela Tarr : "Même un cendrier est passionnant..."
La durée d'un film, la musique, le public... Quelques questions au cinéaste hongrois et tout l'art, unique, de sa1
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Dans un petit village hongrois, deux mystérieuses personnes que chacun croyait disparues refont parler d'elles. Une épopée de plus de sept heures.
Un groupe d’âmes perdues dans la grande plaine hongroise balayée par le vent et l’incessante pluie d’automne. Dans la ferme collective démantelée et livrée à l’abandon, ces quelques habitants végètent et complotent les uns contre les autres, lorsqu’une rumeur annonce le retour de deux autres personnages que l’on croyait morts. Cette nouvelle bouleverse ces êtres en manque de perspective. Certains y voient l’arrivée d’un messie, d’autres redoutent celle de Satan. A noter, en raison de la durée exceptionnelle du film (7h30!), le film se divise en trois parties.
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... un film qui ne ressemble qu’à lui-même: un miracle, un nirvana, un sommet pour celui qui désespère de ne pas trouver un digne remplaçan
... un film qui ne ressemble qu’à lui-même: un miracle, un nirvana, un sommet pour celui qui désespère de ne pas trouver un digne remplaçant aux inestimables Wojciech Has et Andrei Tarkovski. Et pose la question que tous les Béla Tarr qui se respectent posent: où se trouve la place de l’homme dans ce monde ?
Les quelques aficionados qui seront en terrain connu vont être aux anges: l’opus dure précisément 7h30, ce qui signifie qu’il vaut mieux avoir les yeux bien ouverts pour savourer chaque minute de ce morceau de bravoure cinématographique. Cela étant dit, ce n’est certainement pas le film adéquat pour découvrir l’univers de Béla Tarr (mieux vaut commencer par le commencement du Nid Familial pour poursuivre avec son film peut-être le plus «accessible»: Les Harmonies Werckmeister).
Refusant tout ce qui ressemble à un cinéma élitiste et intellectualisant, Béla Tarr est le contraire même d’un moralisateur. C’est un sceptique, en proie à des doutes permanents sur l’état du monde qui continue son exploration des paysages rutilants et des personnages flingués par l’aliénation des hommes. Comme toujours, il réussit à faire une œuvre contemplative qui parle d’ennui sans jamais ennuyer. Au contraire: Tarr invite à contempler le monde dans son élégie funèbre où la tristesse du monde est dédramatisée par des élans potaches comme poétiques.
Cinéma de la neurasthénie, peut-être, mais chambre de la mélancolie, surtout. Et qui dit invitation, dit droit suprême de ne pas l’accepter. Sa durée exceptionnelle ne sert qu’à souligner la détermination du cinéaste de réaliser l’œuvre unique qui éblouira tout ceux qui accepteront d’être ébloui avec des scènes qui jouent sur les focales et durent jusqu’à l’épuisement de la rétine. Haute conception du cinéma, direz-vous. Oui, assurément. Et on en redemande. Comme quelques cinéastes à l’instar de Bruno Dumont ou Tsai Ming-Liang (dans des styles formels similaires mais aux thématiques divergentes), Béla Tarr réveille les sensations oubliées pour adhérer à la conception d’un cinéma éminemment sensoriel et viscéral.
Le récit du Tango de Satan s’articule entre le rêve et le cauchemar, brouillant les pistes pour emmener le spectateur quelque part dans cette zone où cohabitent le songe lointain et le cauchemar familier. On ne comprend pas bien ce qui se passe mais on s’en fout: on est subjugué. Progressivement, lorsque les personnages se mettent à parler et que les enjeux dramatiques deviennent explicites, on commence à comprendre que c’est le début de la fin. La fin du socialisme avec des personnages qui s’accrochent comme ils peuvent à l’utopie. De braves paysans qui se bourrent la gueule pour éviter de fondre en larmes doivent se partager l’argent d’une coopérative privatisée et finissent par se foutre dessus pour empocher les thunes.
Parallèlement à cela, des historiettes gravitent autour comme cette histoire d’une enfant Tarkovskienne (vous avez dit Enfance d’Ivan ?), délaissée par tout son entourage. Les personnages marchent côte à côte et on entend déjà les prémisses des Harmonies Werckmeister. Ils tentent de se frayer un chemin dans l’adversité climatique: qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il neige, ils avancent, tels des Sisyphe désabusés. Des étreintes amoureuses prennent subrepticement naissance, des hommes roublards s’imposent comme guides et se conduisent comme les petits pères du peuple envers les «autres», masse uniforme et vouée à la perte identitaire.
Et progressivement, les paysages – sublimement désespérés – deviennent les conteurs d’un récit où des restes d’humanité vont progressivement disparaître en retournant dans un premier temps dans leur état de bête cupide puis après, quand il n’y a plus rien à vivre, à croire ou à tourner en rond, le néant absolu. Bienvenue en Hongrie.
Sur plus de sept heures, le récit est irracontable. Peu importe: Béla Tarr nous parle de manière inexplicable. Loin du cinéma de ses débuts où inspiré par Ken Loach (Le Nid Familial, l’un de ses premiers films tournés en 4 jours avec des acteurs non professionnels au sein du Studio Béla Balász et par la suite L’Outsider (1980) et Rapports préfabriqués (1982)), il oeuvrait ostensiblement dans la chronique sociale pour pointer du doigt la médiocrité des gens, Béla Tarr a trouvé sa propre identité visuelle à travers des plans-séquences somptueux (le premier, qui dure pratiquement 9 minutes, s’intéresse à des vaches qui sortent d’une étable, circulent librement sans contrainte dans les champs et introduisent le lieu sacré où se dérouleront les événements les plus tragiques)
(...) Le diable est réputé malin et intelligent; Béla Tarr se met incontestablement à sa hauteur en réalisant avec Sátántangó rien de moins que l’un des plus beaux films au monde qui par sa maîtrise soufflante du cinéma (les plans-séquences, les panoramiques, les mises en abyme tordues), par ses audaces (moments de silences, ellipses temporelles et narratives), crée une révolution des formes essentielle et atteint un degré de perfection auquel seuls quelques cinéastes comme Eisenstein, Murnau et Kurosawa ont accédé.
" L’événement ne tient pas seulement à la durée exceptionnelle de l’oeuvre mais à sa place dans l’histoire du cinéma pour le renouvellement
" L’événement ne tient pas seulement à la durée exceptionnelle de l’oeuvre mais à sa place dans l’histoire du cinéma pour le renouvellement des formes qu’il propose et dans l’histoire du siècle qui vient de s’achever.
Il fallut en effet les bouleversements dans la société hongroise que provoqua l’écroulement du socialisme, pour que Béla Tarr, avec l’énergie qu’on lui a toujours connue, arrive non seulement à inscrire dans son propos ces bouleversements, mais en tire parti pour réunir, puisant à toutes les sources, les fonds à la hauteur d’un projet aussi ambitieux : une fiction sur le basculement d’un monde, fiction profondément ancrée dans son pays, la Hongrie, carrefour de l’Europe. Exceptionnelle rencontre d’un sujet et des conditions de fièvre qui le virent naître. (...)
Hommes et femmes y croisent leurs amours sans lendemain et leurs haines recuites, tellement âpres qu’ils ne peuvent se séparer les uns des autres, car le principal personnage du film, c’est cette terre grasse, qu’ils veulent fuir et à laquelle ils ne peuvent s’arracher. Le ton est donné d’entrée : dans un petit matin embrumé, des vaches sortent de l’étable, mugissements, saillies paresseuses, le troupeau incertain part vers les champs, et la caméra le suit en un long plan de huit minutes, le temps que le ciel s’éclaircisse, qu’un chemin boueux s’ouvre sur le pâturage, et qu’on ait découvert quelques fermes balayées par le panoramique, lieu ouvert de la tragédie qui s’annonce. Ainsi, d’entrée, dès ces huit minutes de lent piétinement de sabots, la fascination s’impose. Une fascination qui, loin d’imposer au spectateur le point de vue du réalisateur, le laisse choisir devant ce qui lui est proposé : à lui d’entrer, s’il le veut, sur ces terres (...)
la construction du film, reprenant plusieurs fois sous un angle différent le même événement, va dans le sens d’une mise à distance affective. Dès lors, il ne s’agit pas de s’apitoyer sur le sort de tel ou tel personnage, voire sur le devenir d’une société dans son ensemble, mais d’être le témoin d’un processus en marche.
Le miracle est que cela se produit non pas à partir d’un certain dessèchement des personnages, qui ne seraient là que pour les besoins d’une démonstration, mais qu’au contraire ils vivent tous d’une vie épaisse, lourde de passions et de pulsions, et que c’est le choc de ces passions qui donne tout son sens à l’aventure dans laquelle ils sont jetés. Soit une leçon de cinéma et d’histoire du même pas. Rare."
" ... un film-monde comme il en existe très peu, finalement (2001… de Kubrick, Andreï Roublev de Tarkovski, Eraserhead de Lynch). C’est à la
" ... un film-monde comme il en existe très peu, finalement (2001… de Kubrick, Andreï Roublev de Tarkovski, Eraserhead
de Lynch). C’est à la fois le monde d’un
village perdu de la Puszta (l’immense plaine hongroise), autour duquel
se déroule toute l’action, et celui du roman de László Krasznahorkai,
dont il est l’adaptation.
On ignore si le roman est transposé in
extenso,
mais Tarr s’approche de l’effet produit par la lecture d’un roman, qui
nous plonge beaucoup plus intimement dans un récit qu’un film.
Ménageant
des chapitres, introduisant et ponctuant le film par des extraits du
roman lus en
voix off, Béla Tarr respecte la littéralité de la littérature comme
personne ne l’avait fait ni avant ni après lui. Une durée
exceptionnelle autorise des digressions parallèles que le roman se
permet toujours et le cinéma presque
jamais (des chapitres entiers sont consacrés à des personnages
secondaires).
Mais Sátántangó n’est pas un roman filmé, c’est un film à part
entière, qui ajoute du temps, de l’espace et de l’air et de l’humidité,
de la vibration, du tempo, du tango, à la prose de l’écrivain fétiche
de Tarr (...)
C’est à la fois romanesque et naturel, car comme le
dit Gus Van Sant : “Les films de Béla Tarr sont si proches du rythme de
la vie…" (il s’en est largement inspiré pour Gerry et Elephant).
Voir le superbe prologue du film, plan-séquence de sept minutes et
demie en travelling accompagnant un troupeau de vaches qui sort de
l’étable. L’atmosphère est installée. Toute cette histoire de
déréliction, rythmée par les travellings coulant le long des rues
pluvieuses et fangeuses du bourg, culmine avec l’intrusion d’un faux
gourou (magnifiquement incarné par le compositeur du film, Mihaly Vig),
qui va abuser les paysans. Un imposteur dostoïevskien filmé par le
meilleur disciple de
Tarkovski, que demander de mieux ? "
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