" Rien que l'origine du film en dit long : un fait divers suffisamment glamour pour faire l'objet d'un long article de Vanity Fair, qui a tapé dans l'oeil de Sofia Coppola. Titre du papier, paru en 2010 : « Les suspects portaient des Louboutin » — marque de chaussures inaccessible pour presque tout le monde. Le " Bling Ring " est donc le surnom de ce gang d'adolescent(e)s ayant cambriolé moult villas de « people » domiciliés à Los Angeles, de Megan Fox à Lindsay Lohan. But principal : dérober et porter les fringues hors de prix arborés par ces stars d'aujourd'hui. But secondaire, plus ou moins conscient : devenir, à son tour, célèbre.
Que la cinéaste s'empare de cette histoire ne surprendra personne. Depuis le coup d'éclat de Virgin Suicides, requiem vénéneux pour une fratrie de jeunes filles rêveuses, elle est restée fascinée par l'adolescence, qui irrigue tous ses films. Et avec Somewhere (2010), elle a déjà peint Los Angeles — vu du palace Chateau Marmont — comme la capitale mondiale de la superficialité et du vide.
The Bling Ring affiche un style plus passe-partout, des plans plus courts et moins composés que dans les précédents films. Comme s'il s'agissait d'épouser le rythme impulsif de la petite bande, toujours à l'affût d'infos, grâce à Internet, sur les voyages des célébrités — pour se précipiter chez elles en cas d'absence. Mais la facilité déconcertante de ces cambriolages est très cinématographique : une fois passée la première transgression (escalader une grille, rien de plus), tout semble offert, sans limite de temps, comme dans un rêve, fût-il de pacotille. Non seulement le gang peut se repaître du luxe convoité, mais, plus profondément, se projeter dans la vie de la vedette visitée.
Sofia Coppola montre ses personnages comme décérébrés, mais raccord avec leur environnement et leur époque. Au sommet du n'importe quoi, mais ni plus ni moins que la télé-réalité, les blogs people ou les « stars » cambriolées : Paris Hilton, victime réelle de la bande en 2010, a prêté sa villa kitschissime, remplie de coussins à son effigie, pour le tournage... Les parents ne sont pas les moins atteints : Leslie Mann (actrice fétiche de Judd Apatow), drôle et effrayante, enseigne l'éthique à ses filles en s'appuyant sur l'exemple d'Angelina Jolie.
Tant d'ironie devrait nous conduire à un grand malaise face à la vacuité abyssale de ce petit monde. Or l'effet est plus mélangé. La cinéaste ne sait plus s'arrêter d'être suave. Hormis quelques images trop furtives, à la fin, de l'unique garçon du gang, rendu à sa solitude, le film reste si séduisant, si cool, qu'il en devient paradoxalement mineur... L'humanité s'évapore : pour Sofia Coppola, c'est à la fois vertigineux, rigolo et normal, presque indifférent. "
Louis Guichard