" Une adolescente roule à vélo dans les larges avenues de Budapest, étonnamment désertes. Soudain, une meute de deux cent cinquante chiens hurlants déboule dans son dos, toutes dents dehors. Cette image de pure terreur — garantie sans trucage numérique — ouvre avec fracas le sixième film de Kornél Mundruczó, prix Un certain regard à Cannes (...)
Le comportement imprévisible de ses acteurs à quatre pattes a obligé cet héritier des grands esthètes hongrois (Miklós Jancsó et Béla Tarr) à dynamiser sa mise en scène : son cinéma, au formalisme parfois pesant, y a trouvé un nouveau souffle salutaire. Les mouvements heurtés de la caméra reflètent les émois de l'animal en lutte pour sa survie. L'incompréhension, l'effroi, la colère se lisent sur la gueule incroyablement expressive de Hagen. Au point que les séquences avec les seuls humains, pourtant solidement réalisées, paraissent presque fades...
C'est un remake de Spartacus, version canine, que réalise Mundruczó. Hagen est récupéré par un truand qui, à la suite d'un dressage pervers, métamorphose le gentil toutou en champion de combats sanguinaires. Mais comme Kirk Douglas dans le péplum de Stanley Kubrick, le gladiateur se rebelle après avoir dû tuer son rival dans l'arène. Et l'esclave devenu libre va prendre la tête de la révolte des exclus. Dans les quarante dernières minutes, angoissantes, sans une seconde de répit, le film emprunte ses effets aux classiques du cinéma d'horreur (des Oiseaux de Hitchcock au White Dog de Samuel Fuller, où un molosse était dressé pour tuer des Noirs), mais aussi aux films gore type Halloween : Hagen, à l'instar d'un tueur en série, se cache dans l'ombre pour mieux attaquer les hommes qui l'ont martyrisé. La guérilla urbaine conduite par les chiens prend alors un tour prophétique : « Ne désespérez pas davantage les damnés de la terre », semble dire Mundruczó. Ou leur rébellion sera inéluctable. Et apocalyptique... "
Samuel Douhaire