" Ce film en noir et blanc est plein de couleurs. Il a été doublé après le tournage. Il s’en dégage une intense poésie du quotidien. Il y règne une liberté de tous les instants. Truffaut filme comme il respire. Quand il ne sait pas, il invente. Quand il hésite, il emprunte des raccourcis, multiplie les trouvailles. Voici Paris. Voici une maison dans le Var, un chalet dans les Vosges. Voici des promenades à vélo, de la boxe française et une partie de dominos. Voici la liste des bourgognes et des bordeaux. Les héros, eux, prennent de la bouteille. Ils finiront engloutis par leur rêve caché.
Jules et Jim, en plus d’être une sorte de miracle sur pellicule, constitue aussi une bonne action. Cela permit à un écrivain de sortir de l’oubli. Plus tard, Truffaut s’attaquerait aux Deux Anglaises et le Continent. Cela s’appelle la fidélité. Le talent qu’il avait, l’air de rien. Sa modestie fut récompensée.
Sur l’écran, on voit la difficulté d’être, les émotions qui s’emmêlent les pieds, le prix qu’il y a à payer pour l’insouciance. C’est grave, léger, profond. Chaque plan continue à étonner.
Tout est bien, là-dedans, la musique de Georges Delerue, les mines de Sabine Haudepin, Rezvani et sa guitare, Les Affinités électives sur une table de nuit, la course sur la passerelle au-dessus des voies ferrées, l’accent de Werner, la silhouette de Serre. Jeanne Moreau rayonne (parfois, c’est de tristesse).
À intervalles réguliers, une ombre voile ses traits. Elle est imprévisible, arrogante, fragile et sûre d’elle. Toutes les femmes essayaient de lui ressembler. Tous les hommes tâchaient de la séduire. L’actrice a gardé le pull blanc qu’elle porte dans une des dernières séquences. Il lui a sûrement porté bonheur. "
Eric Neuhoff, 25/06/2012