" ... Après nous avoir, dans son premier film, Histoire de Paul, brutalement plongés au cœur de ce lieu d'épouvante qu'est un hôpital psychiatrique, il brossa dans La Communion solennelle le tableau généalogique un peu touffu d'une famille du terroir. C'est curieusement en s'inspirant aujourd'hui d'un des romans les plus fameux de la période pré-hitlérienne, Berlin Alexander platz d'Alfred Döblin, qu'il nous donne pour la première fois une œuvre qu'on ose qualifier de personnelle.
Alors que Döblin, comme à la même époque le cinéaste Fritz Lang, montrait les visages des démons qui allaient bientôt devenir maîtres de l'Allemagne, René Féret utilise ce récit pour dresser le constat de faillite de l'humaine société. D'un monde où le faible d'esprit, le naïf, finit immanquablement par se faire dévorer par plus roué que lui.
Le jeu stylisé, à la iimite du grotesque, le dialogue truffé d'argot poétisé, les éclairages irréels, donnent pourtant à l'atroce destin de ce pauvre bougre de Fernand cette note pimpante el bon enfant qu'on ne trouvait jusqu'à présent que dans les films de Jean-Daniel Pollet.
Lorsqu'il sort du pénitencier, le brave Fernand jure bien qu'on ne l'y reverra plus. Il mènera désormais la plus honnête des vies. Seulement voilà, les temps sont comme toujours difficiles et les amis prêts à donner un coup de pouce se révèlent tous d'affreux jojos. Ainsi ce Mickey, qui lui apparaît comme une sorte d'archange, qui lui procure, comme par magie, boulot, toit et femme, lui jouera les tours les plus pendables. Après avoir perdu un œil, une oreille et surtout sa bien-almée, fille de petite vertu qu'il prenait pour une danseuse, Fernand ne devra qu'à la présence fortuite de ces gardiens de l'ordre dans les pattes desquels il avait si bien juré de ne plus tomber, de ne pas perdre aussi la vie.
Fernand, c'est l'innocence faite homme. Si son incorrigible bonté évoque le héros de L'Idiot de Dostoïevski, il se différencie de ce grandiose personnage en ce qu'il restera, jusqu'à la mort de sa petite compagne, totalement inaccessible à la souffrance. Avec son image de Pierrot lunaire, ses airs émerveillés ou éberlués, Bernard Bloch donne plutôt à Fernand cette douce folie dont seuls sont habités les héros de Raymond Queneau. Comme chez l'auteur de Pierrot mon ami, les moindres personnages sont douteux, ambigus, un peu fêlés, bigrement « parigots ». Au cours d'une très jolie séquence, un professeur, qui répond au nom insolite de Babar, fait faire à un petit rat des exercices de plus en plus douloureux. A nous de deviner s'il s'agit d'un maître affectueux et exigeant ou d'un vulgaire sadique.
René Féret fut longtemps un comédien de théâtre. C'est peut-être ce qui lui permet de diriger de main de maître ses acteurs. On gardera en particulier le souvenir d'Yves Reynaud, qui, dans le rôle de Mickey, incarne un véritable génie du mal à qui Fernand donne sans confession le bon Dieu et son amitié. Jany Gastaldi, comédienne formée à l'école d'Antoine Vitez, rappelle ces ravissantes poupées qui, si on les serre un peu trop fort, se démantibulent et nous laissent en larmes.
Joshka Schidlow, 27/02/1980