" … Le Rayon vert, c’est une bouffée d’air frais — façon nouvelle vague — dans l’académisme désolant d’un cinéma français où même les jeunes (surtout les jeunes) ont déjà l’air vieux.
On avait oublié qu’un film pouvait être aussi simple, aussi juste et aussi libre. Truffaut n’est plus là pour nous le rappeler. Godard, depuis longtemps, a abandonné la fantaisie pour le didactisme. Rivette laisse peu à peu s’en aller à la dérive l’inspiration merveilleuse de Céline et Julie, Reste Rozier qui, après des années de silence forcé, nous a ravis avec Maine-Océan. Et Rohmer.
Rohmer qui, imperturbablement, construit son œuvre. Tous ses films se renvoient l’un à l’autre. Toutes ses histoires ressemblent à des contes (même celles qui n’appartiennent pas aux Contes moraux). Et tous ses personnages sont des bavards impénitents, de beaux parleurs, qui n’en finissent pas de s’analyser. (Et si, dans les Contes moraux, l’analyse est toujours juste, dans les Comédies et proverbes, au contraire, les actes contredisent sans cesse les propos).
C'est pourquoi, jusqu’à présent, Eric Rohmer avait toujours eu une prédilection pour les intellectuels, les mondains, voire les salonards. Et voilà que, pour la première fois, avec Le Rayon vert, il peint un autre milieu : de petits employés, des gens de condition — et même de culture — modeste. Et, pour la première fois aussi, il demande à ses interprètes d’improviser leur texte. A l’intérieur, bien sûr, d’un canevas très précis.
… elle est merveilleuse, Delphine. A la fois réservée et entêtée. Touchante et agaçante. Et devant tant de grâce, de fragilité et de maladresse, on est partagé entre l’émotion et le rire. Comme toutes les œuvres de Rohmer, Le Rayon vert est un film ambigu. Delphine est-elle ridicule de ne pas draguer comme ses copines ? Est-elle tout simplement coincée? Ou n’a-t-elle vraiment rien à offrir aux autres — comme elle finit par le croire — puisque les autres ne vont pas vers elle ?
En fait, sous ses apparences vélléitaires, avec sa difficulté à communiquer, son incapacité à s’exprimer, Delphine, sans même le savoir, est un personnage fort, qui marche vers un but qu’elle ignore. C’est une romantique qui croit à l’amour et pressent vaguement qu’elle doit, envers et contre tous, rester fidèle à ce qu’elle est. Chacune de ses rencontres ressemble à une épreuve — une tentation — qu’elle doit surmonter. Car, pour la sauver de la solitude, chacun la pousse à se trahir elle-même.
(…) Comme toute héroïne de conte qui se respecte, Delphine va donc déjouer les pièges et mener à bien sa traversée de la solitude. C’est même la première héroïne des Comédies et proverbes qui ne se trompe pas sur elle-même.
Après avoir affronté 1) la solitude au milieu des autres — quand les autres ne vous comprennent pas, 2) la solitude solitaire — quand on n’a vraiment personne en face de soi, 3) la solitude dans la foule, Delphine, brusquement, va doter son histoire d’un bel épilogue.
(…) Merveille ! Du cinéma artisanal en 1986, en plein règne de l’industrie lourde !"
Claude-Marie Trémois, 03/09/1992
oyui vrai très beau .. les hésitations de marie rivière donnent envie de la suivre et de la consoler :-)
L'un des plus beaux films de Rohmer. Bouleversant.