Hou Hsiao-hsien : Ozu et moi
Pratiquement tous les films d'Ozu (Voyage à Tokyo, Le Goût du saké, Fin d'automne...) tournent autour de la famill1
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Depuis la mort de son père, Ayako vit avec sa mère. Trois anciens amis du défunt décident de prendre en charge l'avenir d'Ayako en lui trouvant un mari.
Depuis la mort de son père, Ayako vit avec sa mère. Trois anciens amis du défunt décident de prendre en charge l'avenir d'Ayako en lui trouvant un mari. Mais Ayako est très réticente. Croyant que son refus est dicté par la volonté de ne pas laisser sa mère seule, les trois hommes décident alors de marier la veuve.
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"Il existe encore des gens qui croient que le cinéma de Yasujirô Ozu (1903-1963) est intellectuel, qu’il faut être capable d’un effort de co
"Il existe encore des gens qui croient que le cinéma de Yasujirô Ozu (1903-1963) est intellectuel, qu’il faut être capable d’un effort de concentration supérieur à la normale pendant deux heures pour comprendre et apprécier ses films. Or rien n’est plus faux. Aucun cinéaste n’est plus simple qu’Ozu, plus attentif au confort de son spectateur : tout est doux et détendu, tout est raconté avec simplicité et linéarité. C’est plus facile à suivre que Kill Bill ! Chez Ozu, il n’y a que des micro-événements familiaux extraordinaires (où il est souvent question de rapports entre parents et enfants), des sentiments simples mais intenses, pas de drames spectaculaires mais des traumatismes profonds, et un pays qui passe de la tradition à l’industrialisation. Ozu pouvait souvent être un petit rigolo (il avait d’ailleurs débuté par la comédie). Ses films sont par exemple parsemés d’allusions sexuelles, de blagues très vulgaires (comme dans Bonjour) sous le raffinement de la mise en scène. Quelle mise en scène ? Des plans fixes au ras du sol (c’est sa marque de fabrique légendaire), petits espaces où sont enfermés les personnages, qui dialoguent entre eux par un montage rigoureux et d’où émerge soudain, sans prévenir, l’émotion. Bref, ignorer Ozu, c’est se priver de moments de plaisir tristes et délicieusement diffus."
Jean-Baptiste Morain" Dépêchons-nous de briser une légende. Bien que né et mort à Tokyo, et remarquable buveur de saké, Yasujiro Ozu n’est pas un cinéaste japo
" Dépêchons-nous de briser une légende. Bien que né et mort à Tokyo, et remarquable buveur de saké, Yasujiro Ozu n’est pas un cinéaste japonais. Ou si peu. Et cette coincidence s’impose tout de suite.
Avouons-le : la plupart des films japonais nous défrisent par leur excès d’exotisme. On a parfois du mal à surmonter l’étrangeté (parfois l’agacement) de ces courbettes sur-multipliées, de ces petits pas féminins ligotés par l’étroit kimono, de ces vociférations gutturales d’un samouraï en colère ou de ces conversations nasillardes, yeux bridés et tête brimée. Avec Ozu, rien de tel : d'emblée, son univers nous est familier. Gestes et visages n’ont plus aucun mystère. Nous pénétrons dans l’intimité fraternelle d’une bande de vieux copains assoiffés : leur regard rigolard, leurs plaisanteries nostalgiques, leur soif inavouée de courir le guilledou apparaissent comme des tics universels. Il y a là, autour d’une table, une jeune fille timide qui se tord les mains de confusion lorsqu’on souligne sa beauté, sa mère, veuve depuis sept ans, et encore séduisante, et trois amis de la famille qui vont se piquer de marier les deux femmes. Cela pourrait se passer chez nous. Nous ne sommes jamais dépaysés.
Et pourtant, Ozu a une façon bien à lui de décrire son univers. Pas de panoramiques, pas de travellings, pas de gros plans. Mais des images obstinément fixes qui refusent de lier un plan au suivant. Comme pour nous forcer à regarder une scène, puis une autre, en nous empêchant de penser au langage. Ozu se permet de donner une gifle à l'art cinématographique afin de mieux cerner le monde qui le préoccupe (...) Il regarde le temps couler, la mort s’installer, les hommes et les femmes se déplacer dans l’espace. Un espace où tout le monde, en chaque lieu, est « de passage ». Ozu n’arrête pas de photographier des vestibules et des couloirs, que les gens franchissent dans un sens ou dans l’autre. Il adore aussi montrer les entrées et les sorties, il y a aussi des plans vides, sans personnages, où la lumière est mangée par les ombres de l’absence familiale.
Chez Ozu, les thèmes reviennent et se répètent, il s’agit encore et toujours ici du rôle immuable de la famille, de la primauté des rapports parents-enfants et de la morale qui résulte de ces rapports. Il s'agit de la mort qui guette la famille lorsque la jeune fille a vingt ans et qu'elle est d’âge à accepter un Prince Charmant.
La mort et le mariage : sans cesse chez Ozu, ils vont de pair. Le mariage de la jeune fille du Goût du saké ressemblait à une marche à l'échafaud. Fin d’automne s’ouvre sur un anniversaire de funérailles pour se clore par un mariage, comme pour boucler le cercle infernal. Entre l’immuable groupe de marieurs, anciens soupirants transis qui n’ont plus rien à espérer de leurs charmes, et le groupe des femmes éternellement confrontées au choix (céder à la tradition ou céder à la nostalgie), il y a un point commun : on est toujours à l’âge du pathétique.
A cause de son indéracinable fidélité à ces rites ancestraux, Ozu a été considéré comme un conservateur. En fait, dans ce film, sa morale est celle de la liberté. Et lorsqu’il montre comment l’obstination de la jeune fille peut se muer en égoïsme par rapport à sa mère, il indique très clairement que la liberté individuelle s’arrête là où commence la liberté d'autrui.
En fait, il est étonnant de voir la modernité de ce film de 1960. Rarement on aura dit aussi clairement que les femmes et les filles sont libres de décider elles-mêmes des directions à donner à leur cœur, des disciplines à donner à leur corps. Bref de conduire leur destin.
Dans Fin d’automne, le tragique de la situation de la jeune fille est limité puisque le prétendant qu’on lui propose et le jeune homme qu’elle rencontre et qu'elle aime ne sont qu’une seule et même personne. Mais toujours dans les films d’Ozu, il y a cette notion que le désir de la jeune fille est prisonnier des rituels. Rituel des démarches extra-familiales qui font fi de sa propre évolution sentimentale. Rituel de l’abandon du père ou de la mère, renvoyés à leur solitude (...)
Fin d’automne, remake d’un autre film d’Ozu réalisé en 1949 (Printemps tardif), est aussi un film plein d’humour. En racontant ces histoires qui ressemblaient tant à sa propre vie (Ozu vécut avec sa mère en célibataire endurci jusqu'à la mort de celle-ci), Ozu avait décidé, à la fin de sa vie, que seuls comptaient l’émotion — pour peindre la dignité des hommes — et l’humour — pour donner au spectateur le sentiment de la vie. "
" Yasujiro Ozu ignore les majuscules. Il nous parle des gens, non de l’homme ou de l’humanité. Il s’en tient au vécu vrai des sentiments te
" Yasujiro Ozu ignore les majuscules. Il nous parle des gens, non de l’homme ou de l’humanité. Il s’en tient au vécu vrai des sentiments tels qu'ils s’expriment, à l’instant même, ou tels qu’ils se laissent deviner. Il ne sait pas généraliser, sinon à la manière des « gens » ; pour dire que le temps va trop vite, et que la vieillesse est bientôt là.
Sept ans déjà dans Fin d'automne que l'ami Miwa a disparu, laissant une femme seule et une fille unique, dont les noms riment : Akiko, Ayako. Elles sont incarnées l'une et l’autre par des actrices délicieusement justes : Setsuko Hara et Yoko Tsukasa.
II est difficile, particulièrement, de ne pas céder au charme de Setsuko Hara qui joue Akiko, la mère. Ozu, lui- même, semble désarmé, et c’est très visiblement qu’il nous laisse partager son admiration attendrie.
Il faut faire un effort de réflexion pour s’apercevoir qu’il nous montre assez peu son héroïne. On parle beaucoup d’elle. Elle est rarement présente. Ozu va même jusqu’à supprimer une scène, en principe, importante, où la veuve éconduit un prétendant possible. II préfère filmer dans un bar l’ami du prétendant racontant sa déconvenue. C’est toute la beauté paradoxale de ce récit que d’accompagner ainsi, de loin, la lente marche vers la solitude d’un être si tendrement et si respectueusement convoité. Les trois anciens amis de son mari sont amoureux d’elle, en pure perte. Akiko tranchera doucement tous ces liens, pour s’endormir seule, le soir du mariage d’Ayako, afin de goûter probablement dans toute leur plénitude les approches de la paix définitive, qui se marient dans son sourire avec les atteintes de la nostalgie.
Comment Ozu s’y prend-t-il pour unir et pacifier à ce point les contraires : la sérénité et l’intensité, le respect et l’ironie, l’observation et la stylisation ? La réponse est, me semble-t-il, contenue dans la question. C’est parce qu’il va droit aux extrêmes qu’Ozu parvient à les concilier. C’est parce qu’il met, par exemple, sur le même plan, dans une conversation, des propos tout aussi pénétrés, tout aussi graves, sur la saveur des radis séchés et sur le destin d’une femme, qu’il parvient à allier l’essentiel et le contingent. Voilà ce qui distingue absolument Ozu de tous les réalistes et de tous les chroniqueurs du quotidien, qui ne sont, le plus souvent, que des amateurs d’exotisme inversé. C'est parce qu’il se consacre plus délibérément, plus précisément que quiconque, à la peinture de la banalité, qu’il accède, lui, à la métaphysique pure, au mystère de la présence, comme à celui de l’absence.
Ce sont des images, banales encore, de bâtiments, de couloirs, de pièces vides, mais composées avec un tel raffinement, minutées avec une telle exactitude, qu’elle nous préparent, musicalement, à pénétrer dans ces lieux, dans un bar, dans un bureau, dans un appartement, où les personnages sont mis en présence. Des lieux où le temps, la durée ressentie cette fois par le spectateur, se vide et se remplit de la façon la plus heureuse et la plus inquiète. Ces lieux, ce temps, ces minutes captées par un vieux cinéaste japonais en 1960, ne nous sont jamais étrangères, tout simplement parce que l’art d’Ozu se situe, et nous place, au plus près de la vie, c’est-à-dire du risque de chaque instant et de l’abandon au futur (minutes, années, qu’importe) que l'instant, dans son risque, contenait. "
" Dans le monde, il existe encore une secte qu’aucun fichier n'a répertoriée. Née au Japon dans les années 1930, elle a conquis des fidèles
" Dans le monde, il existe encore une secte qu’aucun fichier n'a répertoriée. Née au Japon dans les années 1930, elle a conquis des fidèles un peu partout, aux Etats-Unis, en Angleterre, en Italie, en Allemagne. Son introduction en France remonte à moins de deux ans, mais le nombre de ses adeptes croît de jour en jour. Cette secte, inconnue au tableau des religions, ressemblerait plutôt à l’ancienne confrérie des premiers fervents de William Faulkner. Elle réunit dans une admiration intransigeante les adorateurs d'Ozu, qui n'est pas un dieu égyptien ou aztèque mais un cinéaste japonais, mort en 1963 le jour même de son soixantième anniversaire.
Depuis cette date, et au rebours de ce qui se passe pour les cinéastes ordinaires, sa réputation internationale n'a cessé de grandir. Avant 1978, aucun film de ce « gourou » du cinéma n'avait été présenté en France : notre entendement passait pour être imperméable à son art. On présenta enfin le Voyage à Tokyo et le Goût du saké, inspirant d’infinis commentaires. Au printemps dernier, on parla moins de la diffusion de deux autres films à la télévision, sans doute parce qu'ils totalisèrent plus d'un million de spectateurs. Voici maintenant ce Fin d’automne, réalisé en 1960 et remake amusant d'un film de 1949 présenté sur le petit écran sous le titre Printemps tardif mais que les spécialistes intitulent Fin de printemps.
Car il ne suffisait pas à Ozu, Japonais amateur de casse-tête chinois, de donner à ses œuvres des titres voisins, très proches de l'esprit des minuscules poèmes haïkus. Il les recommençait parfois, ajoutant à la confusion des chattes occidentales, incapables d'y retrouver leurs petits. Par bonheur, l’identification des films n'offre pas un intérêt primordial. Ils racontent tous des histoires semblables. Ils évoquent tous des vies ternes, sans autres événements que le mariage ou la mort .Ils mettent en scène des personnages d'un « ordinaire » à rendre jaloux les réalistes-socialistes les plus endurcis.
Fin d'automne pourrait fort bien se résumer à la façon de ces histoires de famille qui horripilent les gens de goût : « Savez-vous que la jeune Ayako refuse de se marier ? Elle est très attachée à sa mère, depuis la mort de son père. Heureusement, les amis du défunt ont trouvé une astuce. Comme la veuve est encore belle, ils essaient de la remarier. Avec qui ? Avec l'un d'eux, veuf lui aussi ! Comme cela, Ayako se détachera de sa maman... »
Pourquoi diable cet univers d'employés falots, d'anciens combattants, de femmes courbant l'échine devant le mâle, pourquoi ces existences dénuées d'intérêt dramatique, partagées entre le travail, les relations de famille et de pauvres distractions (le bistrot, une excursion à la campagne), pourquoi ce monde où le politique, le culturel semblent ignorés exerce-t-il une telle fascination sur les membres de la secte d'Ozu ? Mieux : pourquoi l’imprudent qui regarde un film d'Ozu pour la première fois, et passé une période d’adaptation qui varie selon les individus mais qui n’excède en aucun cas quarante-cinq minutes, ne parvient-il plus à détacher son regard de cette narration d’événements insipides, au point d'en redemander ?
Le mystère du pouvoir d’Ozu, seule la fin du Portrait ovale d’Edgar Poe réussirait à l’expliquer. Tandis que son modèle meurt, le peintre s'écrie, devant le tableau qu’il achève : « Mais c’est la vie même ! » Quelque chose de ce transfert vampirique affleure sous l’innocence anodine d'un tel cinéma. On ne sait pas encore à qui Ozu a volé sa substance. Les acteurs ? Ses modèles de la réalité ? L'indubitable, c'est qu'on assiste avec lui à ce rêve de tous les peintres, romanciers, cinéastes : une transmutation de l’ « être » en « mot », en « image ». Mesurées à la « présence » des personnages d'Ozu, les créations les plus parfaites du « nouveau naturel », la précision socio-psychologique des meilleurs Sautet ne font pas le poids.
Comparés à Ozu, ces « réalistes » théâtralisent autant que Mounet-Sully. La « dédramatisation » chez Ozu (il disait : « Je veux donner aux gens le sentiment de la vie sans retracer les hauts et les bas dramatiques ») nous met de plain-pied au rang des familles qu'il décrit. Il s’en faut de peu que, à la sortie, nous demandions des nouvelles du père, de la fille, du petit cousin : les personnages cessent d’être des personnages, ils sont entrés en nous. La preuve suprême de la vérité de ce sentiment nous vient de ce qui, a priori, devrait introduire une distance : l’exotisme des mœurs, la différence des mentalités. Or l’inverse se produit : on sort d’un film d’Ozu en croyant parler le japonais.
Cela nous place dans la position merveilleuse des spectateurs naïfs des premiers films Lumière, qui se rejetaient en arrière pour échapper à « l’Entrée du train en gare de La Ciotat » et poussaient le cri du « Portrait ovale », notre cri : « C'est la vie même, prise sur le vif ! »... Des films Lumière, Ozu, sur la fin de sa vie, à partir de Printemps tardif, justement, avait d'ailleurs retenu la simplicité.
Il filmait en plans fixes, toujours sous les mêmes angles, les mêmes décors, en plaçant sa caméra toujours au même niveau, celle du japonais accroupi sur son tatami, non par obsession nationaliste mais parce que cette légère contre-plongée correspondait à sa vision personnelle : on ne demande pas au Greco pourquoi il peignait tous les visages en lame de couteau.
La force d’Ozu, son modernisme criant viennent au contraire — cela n’a rien d’un paradoxe — de son refus de l’esthétisme. Avec trente ou quarante ans d’avance sur les conceptions actuelles, il considérait qu’il n’avait pas à courir derrière la beauté (...)
Fin d’automne, comme ses autres films de l’après-guerre, constitue un catalogue de couloirs de bureau anonymes à frémir, de murs d’usine, de terrains vagues. Avec lui, un poteau chargé de fils électriques vaut bien le Fuji-Yama, et une ruelle minable, un seau en plastique égalent en signification le jardin ratissé d’un temple. Il ponctue de ces images neutres, quasiment hyperréalistes avant la lettre, ses scènes dialoguées, de même qu’il utilise à l’infini — « en boucle », comme disent les professionnels — la même rengaine occidentale en guise de fond sonore.
Le comble est que l’accumulation de ces matériaux ingrats procure au spectateur une sorte d’extase intérieure, accrue dans Fin d'automne par un humour constant, témoignage de l’affection portée par Ozu à ses antihéros et à leurs peu spectaculaires problèmes... "
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