YASUJIRO OZU
Avec plus de 50 films tournés entre 1927 et 1962, Yasujiro Ozu a signé une œuvre aussi pléthorique qu’intemporel...
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Hirayama, un père de famille veuf, décide de marier au plus vite sa fille Michiko qui vit encore chez lui...
Hirayama est veuf. Il a un fils, marié, et une fille, Michiko, qui vit avec lui. Le professeur Sakuma, un de ses amis qui tient une épicerie avec sa fille, se reproche devant lui de gâcher l’avenir de celle-ci. Hirayama décide de marier Michiko au plus vite…
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" Feuille blanche, vide sur la table, devant moi, espace à remplir, à organiser. J'écris, je trace des lettres, des mots. Je laisse des bla
" Feuille blanche, vide sur la table, devant moi, espace à remplir, à organiser. J'écris, je trace des lettres, des mots. Je laisse des blancs, je distribue les signes et les groupes de signes sur la page : je donne forme et sens au vide. L’œil, ensuite, guidé par l'écriture, les blancs, la ponctuation, lit le texte comme une carte : ce lieu est repéré, codifié, balisé, on y trace sa route imaginaire à travers un réseau de signaux, de symboles.
Filmer, pour Ozu, c'est jouer avec le vide, l'espace blanc de l'écran, comme le stylo (ou plutôt le pinceau) avec la page. Tracer des lignes, répartir des masses, des volumes, et, comme ça bouge, utiliser les personnages comme graphistes, traceurs de phrases sur l'écran par leurs gestes, leurs déplacements, les plus anodins, les plus quotidiens, dans un décor, un cadre, eux-mêmes organisés autour d'objets-signes.
Les lettres, les mots, sur la page, sont agencés selon un code, une grammaire, rituels du langage, qui font qu'on se repère tout de suite, qu'on lit du sens. Correspondant à son alphabet visible (les plans, leur organisation, leur succession, la position des acteurs par rapport à la caméra, toujours de face lorsqu'ils parlent, comme invitant le spectateur à prendre place en cet espace ami), Ozu s'est donné une grammaire de l'imaginaire. Grammaire immuable de film en film, l'histoire n'offrant que des variations à l'intérieur de cette rigoureuse syntaxe : la famille, qu’il conjugue à l'infini, jouant sur les relations parents-enfants, frères-sœurs, détaillant les rituels de fiançailles, de mariage et de mort, avec leurs multiples combinaisons possibles, mais sans jamais sortir de cette fascinante géométrie aux figures répertoriées.
Ainsi peut-il totalement se consacrer au seul agencement des signes donnés, eux, une bonne fois pour toutes. Ainsi pouvons- nous nous repérer du premier coup d'œil d’un film à l'autre et suivre le chemin tracé — jusque si profond en nous.
Le langage (qui fabrique l'intrigue) c'est donc la famille. Voici ce qui est raconté dans Le Goût du saké : Shuliei Hirayama est veuf, il a une fille, Michiko, qui s'occupe de la maison, et deux fils, dont l'aîné est déjà marié. En discutant avec deux vieux amis, dont l'un vient d'épouser une très jeune femme, et dont l'autre, veuf lui aussi, vit égoïstement avec sa fille qu'il a empêché de se marier, Hirayama comprend qu'il doit pousser Michiko à se marier rapidement, pour qu'elle conquière sa liberté.
Michiko, après une première tentative ratée, épousera un jeune homme présenté par un ami de son père. Et Hirayama se retrouvera seul dans sa maison...
Ozu inscrit ce jeu de figures dans quatre lieux, toujours filmés sous le même angle, dans la même progression de plans, et porteur, chacun, d'un sens précis, défini. Le bureau, c'est là où se tissent les fils, où se mettent en place les données du problème ; le restaurant, c'est l'espace de l'amitié, où à grand renfort de saké, se racontent les vies, avec humour et ironie ; le bar, c'est l'irruption de la mélancolie, la quête d'un Japon désormais utopique, colonisé jusque dans l'inconscient par l'Amérique ; la maison, enfin, c'est l'endroit de résolution, là où aboutissent tous les fils, où prennent forme tous les éléments du récit pour raconter une histoire et la dénouer.
Chaque fragment lié à un lieu est précédé d'un signe qui lui donne sens : les cheminées et la fumée de l'usine où se trouve le bureau de Hirayama ; les enseignes lumineuses, aux caractères occidentaux, des bars ; l'immeuble, genre HLM, où se trouve l'appartement familial. Ainsi, par ce constant rappel de signes, par cette ponctuation, Ozu nous dit que, derrière son histoire de famille, il raconte celle du Japon, occidentalisé dans son décor, son environnement et donc dans sa culture, dont la famille était le berceau traditionnel.
Et voici d'autres signes : la prolifération dans les appartements (et les conversations) des objets de confort occidentaux (réfrigérateurs, aspirateurs...) au détriment du décor traditionnel. Et aussi cette incroyable histoire de clubs de golf, dérisoire objet de la convoitise du fils aîné, signe de l'accès à une autre culture. Bientôt, dans le couloir de son appartement, on les verra au premier pian...
Ainsi, ce qui est dit, c'est la perte d'une identité, à travers la distension du réseau serré des relations familiales, vécue par un homme confronté à l'absence et une jeune femme au bord de l'inconnu.
Aussi bien le vide va-t-il peu à peu gagner l'écran, utilisé véritablement ici comme la page pour l'écriture, plan fixe après plan fixe (permettant un rigoureux découpage de l'espace, une harmonieuse répartition des signes). A la fin, Michiko partie, ne restent plus que les objets qui furent son décor familier : glace, lit, bureau... Pièces de la maison soudain frappées d'absence, réduites à des volumes vacants. Et puis une ombre, dans la cuisine : Hirayama qui pleure sans bruit pour accueillir ce vide.
Ozu, pendant qu'il écrivait ce film, avait perdu sa mère, avec laquelle il avait passé toute sa vie. Après l'enterrement, ii avait écrit un poème qui se terminait par ces mots : « Le saké est amer comme un insecte. » Malade lui-même pendant le tournage, il se savait proche de la mort (1). Sur sa tombe est gravé un seul mot : mu, qui signifie : le vide.
Néant, sans doute. Mais aussi sublime vacuité, quête réussie d'un dépouillement total pour être ouvert à l'infini du monde. Cinéaste profondément enraciné dans le Zen, Ozu avait atteint la perfection de ces artistes capables de trouver l'équilibre absolu entre un seul signe dans un coin de la toile et le vide tout autour.
C'est ainsi qu’il faut voir Ozu : assis sur les talons, la caméra placée une fois pour toutes à la hauteur de son œil, et lui, patient calligraphe, traçant avec sa caméra-pinceau sur la page-écran des signes surgis du vide, révélant brusquement le tout de la vie, le tout de la mort.
(1) Le Goût du saké fut, en effet, son dernier film. Ozu est mort en 1963."
" Le « samma » est un poisson qui se déguste surtout en automne, le titre original du film d’Ozu ne se réfère donc pas au traditionnel « sa
" Le « samma » est un poisson qui se déguste surtout en automne, le titre original du film d’Ozu ne se réfère donc pas au traditionnel « saké » mais à ce poisson. Redoutant de déconcerter le public français, ses distributeurs ont jugé bon de se référer, dans un nouveau titre, à un élément du quotidien japonais plus connu chez nous. Ils ont sans doute eu raison, bien que ce nouveau titre ne fasse pas intervenir la notion d’automne, capitale dans le film.
Ozu l’a réalisé alors que, de toute évidence, il savait sa fin proche. Il devait mourir le jour anniversaire de sa naissance, peu de temps après la disparition de sa mère, avec laquelle il avait vécu toute sa vie. Comme toujours, il y reprend une thématique explorée avec obstination tout au long de son œuvre.
Le Goût du saké traite de la famille japonaise, de la lente désagrégation des coutumes et des rites qui l'ont maintenue immuable jusqu’à nos jours, des menaces que font peser sur elle l’occidentalisation et l’industrialisation massive du pays. En même temps, c’est un chant de mort paisible où le regret de ce qui va disparaître se tempère d’un humour souriant (les films qu’Ozu a réalisés avant la guerre sont souvent des comédies) et d’une sagesse héritée de la pratique du zen dont les traditions ont eu la plus grande influence sur l’auteur.
Le Goût du saké est le film de l’apprentissage de la mort, du détachement progressif des êtres et des choses de ce mode qui s’opère presque à notre insu, à mesure que nous les acceptons tels qu’ils sont, non pas dans une résignation chrétienne, mais dans la sérénité sans cesse plus pure de l’acceptation d’un néant que le zen enseigne à considérer comme un accomplissement. Ozu a voulu que soit gravé sur sa tombe le caractère « Mu » par lequel le zen désigne précisément ce concept de néant.
Fidèle jusqu’au bout à sa démarche, à ses méthodes, à ses moyens de travail, Ozu a produit la quasi-totalité de ses films pour la même compagnie (la Shochiku), utilisant chaque fois que c’était possible la même équipe technique, les mêmes acteurs (en particulier Chishu Ryu que nous avons découvert dans Voyage à Tokyo et que nous retrouvons ici dans le rôle du père).
Souvent, ses derniers films étaient des remake de ses œuvres de jeunesse. Pour lui, l’important n’était pas de se lancer sans cesse dans l’aventure d’un sujet nouveau, mais de reprendre ce qu’il avait déjà dit en réfléchissant au moyen de le dire autrement, de le dire mieux et plus profondément. D’où sa fidélité au thème familial, l’attention aiguë qu’il porte à l’évolution des mœurs, aux bouleversements sociaux.
Il est arrivé (particulièrement chez les Anglo-Saxons qui s’intéressent à son œuvre depuis une vingtaine d’années alors qu’il y a à peine un an que nous prenons conscience de son existence) qu’Ozu soit considéré comme un cinéaste réactionnaire et nostalgique des valeurs anciennes. Pourtant, ce n’est pas l’apologie de ces valeurs (morales, religieuses ou sociales) qui prédomine dans ses films. Leur disparition y est vue comme le signe de la précarité de notre existence et si les enfants ne suivent pas les chemins tracés par leurs parents, ce n’est pas tant qu’ils se fourvoient ni qu’ils se dévoient mais qu’ils suivent une voie autre, qu’ils s’engagent dans un autre passage transitoire auquel les aînés ne peuvent que demeurer étrangers.
Le Goût du saké retient surtout l’attention des spectateurs occidentaux par l’extrême modernité de sa facture. Par la démarche d’un auteur auquel il importait fort peu de « déconstruire » le récit mais qui ne s’occupait que de le construire selon sa manière, selon les exigences de sa propre logique narrative, sans égards aux conventions des grammaires cinématographiques. Loin d’être lassante ou rébarbative, la rigueur formelle des derniers films d’Ozu devient vite un motif d’exaltation.
A sa prédilection pour le plan fixe (les travellings, dans toute son œuvre, se comptent probablement sur les doigts de la main), s’ajoutent les raccords défiant la rhétorique traditionnelle, les séries de plans destinés à situer l’intrigue dans son environnement historique et social, les scènes d’intérieur filmées selon une optique volontairement théâtrale (passionné de cinéma américain classique, Ozu était également un grand admirateur du no), la réduction du décor à l’essentiel.
Il y a là un tel achèvement dans la création d’un espace cinématographique personnel qu’il est impossible de ne pas considérer le Goût du saké comme l’une des trois ou quatre œuvres capitales du cinéma contemporain. Et, à force de retenir l’émotion, à force de refus de tout effet mélodramatique, Ozu nous mène au bord des larmes.
Il ne faudrait surtout pas croire qu’il s’agit là d’un chef-d’œuvre de laboratoire qui ne peut toucher que les plus raffinés d’entre les esthètes et les théoriciens. Le Goût du saké est un chef-d’œuvre public, on y entre de plain-pied, on en ressort la beauté dans les yeux et le cœur un peu plus sensible. "
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